vendredi 15 avril 2011

Véronique

                                                                            Kidney, Iheartguts

Véronique a tout juste 50 ans. D'une famille modeste, elle est cadre formatrice en école d'infirmières. Aujourd'hui, elle vient aux urgences, parce que depuis hier ça ne va pas. Elle n'a plus de souffle, et à cause de ça elle n'a pas dormi la nuit précédente. Véronique, elle peut vous expliquer dans tous les détails ce qu'il lui arrive, d'ailleurs quand elle se présente à l'entrée des urgences, elle vous donne d'emblée le diagnostic. Elle connait tout son traitement par coeur, à quoi il sert, et peut vous expliquer toutes les dernières modifications qui ont été faites. D'ailleurs, médicaments sont rangés dans une petite boîte à biscuit, parce que c'est ce qu'elle a trouvé de plus pratique pour les transporter.

Quand elle parle, elle le fait lentement, en reprenant son souffle tous les 4-5 mots. Pour que l'on comprenne ce qui lui arrive, elle reprend son histoire depuis le début. Jusqu'à l'année dernière, tout allait bien. Heureuse épouse, maman de deux enfants de 22 et 15 ans, épanouie dans son travail, la vie suivait son cours, tranquillement. Jusqu'à ce jour de septembre où le diagnostic est tombé

Le fameux et tant redouté cancer.
Pour elle, c'est un cancer du rein. Mais comme si ça ne suffisait pas, il est métastasé au foie. Alors tout va très vite. Quelques semaines après la découverte, on lui retire le rein en question. Peu après commence la chimiothérapie. 3 cycles de chimio plus tard, on refait un contrôle au scanner, pour voir si l'on est efficace. Pas de chance, les méta ont augmenté de volume. Alors on change de chimio.

Mais la semaine dernière, c'est la fatigue et le manque de souffle qui l'ont poussée à aller aux urgences. Effectivement, avec 7g/dl d'hémoglobine (une anémie très profonde pour les néophytes), et un épanchement pleural jusqu'à mi-champs à gauche (de l'eau autour du poumon), on peut être fatigué et essoufflé. Alors elle a été transfusée. Et puis on a essayé de ponctionner cet épanchement, pour la soulager. Une fois. Ca n'a pas marché. Une deuxième fois, le lendemain. Cette fois, on a retiré un demi litre. Ca l'a soulagée, un peu. A la radio, ça n'a pas changé grand chose.

Et voilà que cette semaine, ça recommence, depuis hier. Elle est épuisée, elle n'a plus de souffle. La veille au soir, elle est allée faire une radio près de chez elle. Mais elle a été imprimée sur une feuille de papier, autrement dit c'est une image de mauvaise qualité, et aucun pneumologue ne se contentera de ça. Donc je lui prescris une nouvelle radio thoracique. L'examen est rapide, et de toute façon évident.

Vient alors le temps où il faut rentrer toutes les informations recueillies par l'interrogatoire et l'examen dans le dossier de la patiente sur le logiciel que l'on utilise aux urgences. Je m'installe donc derrière le PC, et continue de discuter un peu. Et puis, je sens que la conversation prend une autre tournure. Parce que c'est bien beau la dyspnée, la diminution du murmure vésiculaire et tutti quanti, mais Véronique elle a envie de parler. Elle a besoin de parler.

Je retourne alors près d'elle, parce que parler de choses importantes à 4 mètres l'un de l'autre et derrière un écran, ce n'est pas vraiment top. Alors je lui demande comment ça va à la maison. Elle me raconte que ça se passe plutôt bien avec son mari, il a pris un congé de soutien familial pour l'année, et il est aux petits soins avec elle. Ca l'aide beaucoup. Et les enfants ? Le petit ça va, en fait il ne réalise pas la gravité de la situation. Et puis le grand, il est fort, il apporte son soutien. Alors elle se met à pleurer, et elle me dit que de toute façon, il faut que leur vie continue, qu'il ne faut pas qu'ils s'arrêtent de vivre, même "après".

C'était une situation très bizarre dans laquelle je me suis retrouvé. Cette dame a, à peu de choses près, l'âge de mes parents. Elle n'avait jamais eu aucun soucis de santé. Son premier fils a le même âge que moi. Mais contrairement à lui, j'étais le soignant, je représentais l'interlocuteur privilégié pour parler des petits (et des gros) soucis que la maladie provoquait, pour vider son sac et mettre des mots sur toutes ces émotions, qu'elle ne peut pas toujours montrer, parce qu'il faut qu'elle se montre forte pour sa famille.

D'ailleurs, elle est très forte. Elle a très bien accepté la maladie. Elle se bat, et elle ne veut pas baisser les bras. Le plus gros coup dur, ça a été quand on lui annoncé que les métastases avaient augmenté de volume malgré le traitement. C'était le premier échec contre la maladie.


Des histoires comme ça, dans notre métier, on en rencontre tous les jours. Ce n'est jamais facile. Mais là, j'ai été particulièrement touché par cette dame à la gentillesse et à la volonté de vivre à toute épreuve. Et puis, le parallèle avec ma propre vie était dérangeant. Ca fait beaucoup d'émotions à "digérer", que la patiente vous envoie comme si vous étiez à l'épreuve des balles.

A vous après de vous débrouiller pour vivre avec.


PS : Le pronostic du cancer du rein dans cette situation est plutôt sombre : survie moyenne de 1 an. Je souhaite à Véronique et à sa famille beaucoup de courage pour la suite, mais ça je lui ai déjà dit.
PS 2 : Véronique n'est évidemment pas le vrai prénom de cette patiente.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Récit émouvant d'une nouvelle rencontre dans l'univers de la souffrance très digne. Nul Être Humain normalement constitué n'est à l'épreuve des balles, qu'on soit futur médecin ou simple quidam. Le soutien que tu as apporté à cette patiente ainsi que son courage doivent doivent être source de motivation. Tout autant que les situations où tu as déjà pu participer à sauver des vies dans l'urgence. Tout comme ton premier accouchement. Vis au coeur de la Vie !

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...