mercredi 4 janvier 2012

La semaine de la mort

Mickeyaaaaaaarrrrrggggggggh, Môsieur J. [Version 5.9a]

En ce tout début d'année 2012 (l'année de la lose), je vous offre un nouvel article, qui je le sais s'est fait un peu attendre. J'en profite pour vous adresser, très chers lecteurs, mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année qui commence.

Il y a maintenant un an, j'enchaînais les gardes au Samu. Ceux qui me connaissent savent que la médecine d'urgence est la raison pour laquelle j'ai voulu me lancer dans les études médicales. Il est donc logique que j'aime échanger des gardes aussi chiantes qu'inutiles dans d'autres services pour des gardes dans le domaine qui me plait. Et puis, même si c'est dérisoire, les quelques dizaines d'euros que ça me rapporte ne sont pas de trop. Ainsi, j'approche de la cinquantaine de gardes depuis le début de l'externat, dont la moitié au Samu.

Certains me feront remarquer que je ne raconte pas toutes mes gardes ici. Rédiger un article comme celui-ci est extrêmement chronophage. C'est réellement un plaisir de partager et d'être lu, mais la rédaction d'un article me demande au bas mot une heure et demie de travail. Je n'ai pourtant pas la prétention d'avoir un style littéraire de grande qualité, mais j'essaye de faire de mon mieux pour que les mots soient justes et qu'ils transmettent au mieux le message que je veux délivrer. Et si c'est passionnant, ce n'est pas facile, essayez pour voir ;-)

Bref, j'ai donc choisi de relater cette semaine bien particulière durant laquelle j'avais enchaîné 3 gardes (soit un total de 40,5h de boulot tout de même). La 3ème était "banale", je n'ai rien fait de bien intéressant, elle passera donc à la trappe.


J'ai pris l'habitude d'arriver un peu en avance à mes gardes. Ça me laisse le temps de choisir ma chambre préférée (non pas qu'elle soit réellement plus cool que l'autre, mais je la préfère à l'autre :p), de dire bonjour à toute l'équipe et de discuter un peu. Ce jour-là, je me suis encore fait avoir, comme plusieurs fois auparavant. A savoir, arriver plus tôt, et être du coup envoyé pour un transfert qui était en attente. Il m'est arrivé une fois de me taper un transfert en AR (en ambulance quoi) à 150km de là pour emmener un patient  fans un autre CHU (mais par 2 fois j'ai réussi à échapper de justesse à des transferts qui auraient pris au moins 6h de temps). Ce jour-là, c'est moins loin que ça, mais pas super réjouissant pour autant. Mais bon, c'est le jeu ma pauvre Lucette ! C'est donc parti pour aller chercher un patient dans un hôpital périphérique pour le ramener dans une clinique de la ville. Temps de l'opération, environ 1h45. Sur le chemin du retour, le téléphone de l'ambulancier sonne, c'est la régul' qui demande à l'IADE (Infirmier Anesthésiste) de monter dans le véhicule qu'on va croiser qui part sur un AVP (Accident de la Voie Publique. Accident de la route quoi). Ça a l'air bien méchant, face à face, 4 impliqués au moins. Du coup, je finis mon transfert seul, mais rien de bien inquiétant puisque mon patient allait bien. Je suis un peu dégoûté intérieurement, avec le nombre de garde que j'ai fait, je n'ai pas encore "fait" un seul AVP. Ça m'apprendra à arriver en avance (parce que du coup c'est mon collègue qui lui est arrivé à l'heure qui est parti sur l'AVP). Mais bon, mon patient est sympa donc on discute.

Une fois rentré à l'hôpital, il est l'heure de manger. A peine le temps de préparer mon assiette à enfourner au micro-onde que le bip sonne. Puisque toutes les équipes sont dehors, c'est à bibi de partir. Le délicieux plat de coquillettes/cuisse de poulet attendra. On part donc pour un AVP. Un autre. Pas loin de la ville, en campagne, on arrive rapidement.
Les pompiers sont déjà là, et 2 automobilistes se sont arrêtés. Il fait nuit et très froid, avec une petite bise à vous glacer les os malgré les gros manteaux épais du Samu. Un seul véhicule impliqué. Le 1er automobiliste, un homme d'âge mûr, s'est arrêté parce qu'il a vu la calandre avec la plaque d'immatriculation au milieu du champ. Il n'avait pas vu la voiture dans les arbres. Le 2ème automobiliste s'est arrêté parce qu'il a cru que le 1er automobiliste avait un problème. Lui a tout juste 18 ans,  encore jeune permis. Il y a des pompiers partout, quelques gendarmes. Le temps de prendre le matériel dans le coffre, le médecin est tout de suite allé vers le conducteur. Un jeune homme, à peu près mon âge. Finalement, il n'y a rien à faire, nous n'avons pu que constater le décès. La voiture elle est toujours dans les arbres, méconnaissable (il aura fallu retrouver la porte du coffre pour reconnaître le modèle), sans toucher le sol. Le contact toujours allumé, les essuie-glace balayent encore le pare-brise. Trouver quelque chose à faire. Le petit jeune (le 2ème automobiliste) est toujours là. De toute façon il ne peut pas bouger, sa voiture est bloquée par les camions de pompiers. Il a tout vu (mis à part l'accident en lui-même), il est à peine à 5m du corps.
Alors comme personne ne s'occupe de lui, je vais le voir. Juste lui demander si ça va, parce que ce ne sont pas des images faciles à digérer. D'ailleurs, ça se voit à sa tête qu'il n'aime que très moyennement ce spectacle. Très peu de mots, je le rassure, il me dit que ça va, je lui répète que si ça ne va pas il faut qu'il en parle. A son médecin, à sa famille, même en faisant le 15 s'il ne sait pas quoi faire. C'est assez ironique que j'aie joué ce rôle, alors même que c'était ma 1ère expérience de la sorte et que j'avais à peine 4 ans de plus que lui. Mais j'étais en blanc et était un "professionnel", lui ne faisait que passer par là en rentrant chez lui. En repartant dans notre véhicule je croise le 1er automobiliste. Lui a une "meilleure tête" que mon petit jeune, c'est un "vieux", il en a vu d'autres.
A partir de là nous attendrons une bonne heure que les gendarmes, avec le renfort des élus des communes voisines, nous disent sur le territoire de quelle commune avait eu lieu l'accident afin de remplir au mieux le certificat de décès.

Le reste de la garde sera plutôt tranquille.

La 2ème garde a elle commencé très doucement. Vers 21h un transfert pour une vieille patiente qui faisait une embolie pulmonaire sur une récidive de cancer du sein. Quand je suis de garde au Samu, il m'arrive de passer du temps dans la salle de régulation. J'aime entendre ce qu'il se passe, observer et écouter le travail des permanenciers (les PARM = Permanencier Auxiliaire de Régulation Médicale), du médecin régulateur. Pendant ce temps-là, soit je traîne sur internet, soit je lis un bouquin. Et puis vers minuit, une des PARM prend un appel, et sa voix me fait lever la tête. Le genre de voix qui te fait comprendre tout de suite que tu peux enfiler ton manteau. D'ailleurs, elle déclenche tout de suite l'équipe sans même l'aval du médecin régulateur.
C'est ce qu'on appelle un déclenchement réflexe, c'est à dire qu'il s'agit d'une urgence priorité 0, autrement dit une urgence vitale. L'équipe est donc déclenchée par le PARM, et l'appel sera régulé ensuite par le médecin régulateur, qui donc pourra délivrer des conseils à l'appelant (par exemple débuter une réanimation), ou alors annuler l'intervention. Cette fois-là, ça ne sera pas annulé. Il s'agit d'une jeune femme (à peu près mon âge encore une fois) qui s'est pendue. Suite à une dispute avec son petit-ami, celui-ci est parti faire un tour, et à son retour une trentaine de minutes plus tard, il l'a retrouvée accrochée dans l'escalier. Les pompiers arrivent juste devant nous et commencent la réanimation. Mon rôle à moi est de scoper la patiente, c'est à dire mettre en priorité les palettes du défibrillateur pour voir si on a un rythme choquable. Là ce n'est pas le cas, elle est en asystolie (tracé plat, aucune activité électrique du coeur). L'infirmier veut que je pose quand même les 4 patch du scope, ainsi que la petite pince au bout du doigt pour la mesure de la saturation (qui permet dans notre cas de vérifier la qualité du massage cardiaque). Après ça, mon autre rôle est de préparer 2 ampoules d'adrénaline, pendant que l'infirmier pique un accès veineux et que le médecin intube et commence à ventiler. Petit aparté médico-légal : une réanimation répond à des règles bien définies en matière de durée. Lorsqu'une réanimation est débutée, elle doit durer 1/2h à partir du dernier rythme électrique constaté sur le scope. Autrement dit il faut avoir 1/2h de tracé plat d'asystolie sans AUCUN autre signal électrique pour pouvoir arrêter la réanimation. Si un rythme électrique apparaît (par exemple une fibrillation ventriculaire), le chrono repartira à zéro si on revient à une asystolie. Ça peut donc durer un moment. Là ça n'a pas été le cas, malgré une réanimation bien conduite, et la rapidité de notre intervention (et celle des pompiers), la demoiselle est décédée dans son salon.
Les cadeaux de Noël, encore emballés à ce moment-là, étaient empilés sur la table.

Retour à la base (quand je dis ça j'ai un peu l'impression d'être Batman. Et ça, ça me fait plaisir). Vu l'heure avancée, je vais au lit. Tout ça pour être réveillé 2h plus tard par le doux son du buzzer qui retentit lors d'un départ (un jour j'essayerai de l'enregistrer pour que vous voyez ce que ça fait). Départ pour un village de campagne, pour une femme de 80 ans inconsciente.
Il s'agissait d'une femme tout à fait autonome, sans problème de santé et normale sur le plan cognitif (pas de démence). Elle s'était levé 1h avant pour aller aux toilettes. Puis, son mari trouvant qu'elle ronflait très fort, il essaye de la réveiller. En vain. On arrive donc, et effectivement ça s'annonce plutôt mal, le Glasgow est coté à 3 (c'est le score qui sert à évaluer le niveau de vigilance, 3 étant le minimum, 15 le maximum (une personne normale éveillée)). Mydriase bilatérale (les pupilles dilatées des deux côtés, très mauvais signe sur le plan neurologique). Rapidement elle est scopée, intubée, ventilée, piquée (pour poser une perfusion, pas pour l'achever, nous ne sommes pas encore remplacés par les vétérinaires !). Le mari est prévenu par le médecin qu'étant donné le tableau clinique, le pronostic est très mauvais à court terme. L'hypothèse principale étant l'AVC, le scanner est prévenu et nous l'y amenons donc directement. Le diagnostic est confirmé, avec une hémorragie massive de la fosse postérieure, comprimant donc le tronc cérébral. A ce stade, il restait donc soit à la laisser mourir, soit après l'accord de la famille prélever ses organes. Apparemment elle est décédée dans la matinée d'après les infos que j'ai pu avoir plus tard.
Certes, c'est moins choquant que les deux autres personnes citées plus haut. C'est dans le déroulement "normal" de la vie. Mais malgré tout, être confronté à la peine du mari qui avait bien compris ce qu'il se passait quand on est parti de chez lui, qui a dit au revoir une dernière fois à la femme qui avait partagé sa vie, ça reste saisissant.

Toutes ces images restent gravées dans votre esprit. Et ça, aucun livre, aucun cours ne peut vous apprendre à le gérer. J'imagine qu'avec l'expérience on s'y habitue un peu, mais il n'est en tout cas pas possible d'y rester indifférent. Mais la vie continue, et il faut apprendre à vivre avec. Malgré toutes ces situations plutôt déplaisantes vécues la même semaine, ma motivation est restée intacte quant à mon souhait de faire de la médecine d'urgence. Mais la voie est encore longue...

5 commentaires:

Epione a dit…

"Toutes ces images restent gravées dans votre esprit. Et ça, aucun livre, aucun cours ne peut vous apprendre à le gérer."
Ca me rassure de ne pas être la seule à ne pas pouvoir effacer ces images ...
Je visualise toujours très bien mes deux premiers morts et il suffit qu'on parle de don d'organes ou de RCP pour que les images reviennent.
J'espère qu'avec le temps et l'expérience, ça s'atténuera.
Mais je ne veux pas me blinder et rester insensible pour autant.
Pas facile de trouver le juste milieu.

Soma a dit…

Médecin, ce n'est pas mon truc les urgences, le SAMU. Je n'en reste pas moins admirative devant les urgentistes & cette voie dans laquelle tu comptes aller : bravo !
Bouleversant toutes ces histoires...

Babeth a dit…

Ce qui me frappe ici, surtout, ce sont les autres. Pas les morts, non, mais les vivants. Ceux qui restent, qui doivent faire avec(ou sans), pour qui la vie continue malgré tout.
Merci d'avoir partagé cette garde avec nous.

L'Apprenti Docteur a dit…

@Babeth : exactement, je suis à 200% d'accord avec toi ! En général, je ne suis pas tellement choqué ou affecté par la mort des personnes (en SMUR en tout cas, quand c'est un patient d'un service, que tu connais etc. c'est différent), mais surtout par leur entourage. Le jeune concubin de cette demoiselle pendu, si j'avais dû aller moi-même lui annoncer, ça aurait été très très dur. Idem pour les parents du jeune mort sur la route. Et c'est voir ou imaginer ce que ces personnes de l'entourage ressentent qui me prend vraiment les tripes. Parce qu'au final, ce sont eux qui restent, et c'est eux qui vont devoir essayer de surmonter cette perte...

@Epione : oui c'est toute la difficulté, faire la part des choses et trouver le juste milieu entre humanité et préservation de soi

@Soma : c'est vrai que c'est une discipline à part... merci pour les encouragements !

Anonyme a dit…

Arriver trop tôt, et ne pas partir sur l'AVP... lol, tu en verra d'autre t'inquiéte pas...

Dur le decés du jeune homme en VL... Tu l'as bien géré?
Quelles émotions à tu eus lors de cette intervention? Tu as pus en parler avec l'équipe?

A bientôt
Hugo ;)

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