mercredi 22 septembre 2010

La garde dont vous êtes le héros

                                              ECG montrant une fibrillation ventriculaire

Un soir, de garde aux urgences. Comme d'habitude, tu arrives un peu comme un cheveu sur la soupe, personne ne fait vraiment attention à toi, et tu n'as toujours pas la paire qu'il faut pour taper du poing sur la table et crier "Bonjour, je suis l'externe de garde !".

Malgré tout, très vite on te confie une mission. Celle que tu ne peux pas refuser. "Tu vas surveiller le patient en déchoc".


[petit aparté pour ceux qui n'ont jamais mis les pieds aux urgences, les salles de déchocage sont des pièces bien équipées (contrairement aux box normaux des urgences où il n'y a quasiment pas de matériel), et qui servent à accueillir les grosses urgences, celles qui peuvent nécessiter une réanimation. Il y a donc toutes les drogues injectables, le défibrillateur, le matériel pour l'oxygénothérapie et tutti quanti. Fin de l'aparté]

Le patient en question est un homme, la quarantaine, connu du service, qui vient pour une énième intoxication médicamenteuse volontaire (IMV). Il est à la limite du coma, tout juste réveillable avec une bonne stimulation. Ce soir là, Monsieur avait pris de l'Equanil (traitement anxiolytique parfois utilisé pour le sevrage alcoolique). Petit topo de l'interne de garde, le stimuler régulièrement pour vérifier la conscience, et faire un ECG toutes les demi-heures puisqu'il y a un risque de trouble du rythme cardiaque, avec des signes précurseurs à rechercher sur l'ECG.

[Jusqu'alors, je n'avais jamais eu ce genre de surveillance chiante de déchoc' que la plupart de mes collègues ont déjà subie, et où il ne se passe en réalité jamais rien.]

Tandis qu'après plus d'une heure de surveillance intensive et 3 ECG tu te rends compte que tous les médecins sont partis manger sans même nous prévenir, tu remarques une anomalie sur l'ECG. Pas manqué, à peine le temps de finir d'analyser l'ECG que le scope (l'appareil qui sert à surveiller le coeur, comme dans les séries) t'appelles à tue-tête : le patient est en fibrillation ventriculaire (en gros, en arrêt cardiaque. En gros).

Allez, on baisse le dossier du brancard, on crie "REA, REA !", on enlève la chemise (du patient bien sûr :p), et on masse ! Le temps que le co-externe arrive tu es déjà en sueur, il prend le relais tandis que l'infirmier prend le BAVU pour ventiler (l'espèce de masque avec un ballon sur lequel on appuie pour envoyer l'oxygène). Pendant ce temps-là, tu prends les palettes du défibrillateur chargées à 150 joules, et tu délivres un premier choc. Toujours pas de pouls, toujours en fibrillation. On repart pour 2 minutes de massage et de ventilation, et on re-choque un coup. Toujours rien ! Une aide-soin te dit qu'elle a eu les médecins au téléphone, et qu'ils arrivent de l'internat.

En attendant, une infirmière prépare l'adrénaline, et tu lui dis de la pousser, tant pis si le médecin n'est pas là. Et tu as bien fait,  le rythme redevient normal, et tu retrouves un pouls. T'as de quoi être fier, tu viens de sauver une vie. D'ailleurs, tout le monde te dit que tu as bien réagi, que tu as assuré.

Le médecin arrive enfin.



"Ben alors mon gars, t'as fait la fête hier soir ?". Ces mots raisonnent dans ta tête, tandis qu'il te faut quelques secondes pour reprendre tes esprits. La salle de déchoc, l'appareil à ECG, le patient à moitié comateux avec une haleine de phoque, le scope, qui affiche un rythme normal, le médecin avec un air mi-goguenard, mi-fâché (mais en tout cas repus)...

"Euh..."

La mission qu'on t'avait confiée était tellement prenante que tu t'es endormi, sur ton dernier ECG. Tu te prends un savon, mais n'écoutes pas vraiment. Tu repenses à la fierté que tu as ressenti l'espace de quelques minutes, à la façon dont tu as géré cette réanimation, du début à la fin.

Tu étais parfait. Tu étais une rock-star. Ce n'était qu'un rêve.



Ce soir-là, j'ai passé ma soirée en déchoc', pour surveiller deux patients venus tous les deux pour IMV. C'était la pire garde de l'année et de loin. Je n'ai pas vu d'autres patients en 7 heures. Et il ne s'est bien sûr rien passé pendant ces surveillances (heureusement pour les patients évidemment). 


C'est à ça que sert l'externe en garde ! Ca fait rêver non ?

5 commentaires:

Chantal a dit…

C'est mieux une garde tranquille qu'une où le chaos règne, non?

Bonne journée

PS votre rêve se réalisera assez tôt!

petitegentiane25 a dit…

tu m'as tenu en haleine ! pfff ... me sujis fait avoir ! bon ben moi j'suis du même avis que la dame avant ... mieux vaut une garde peinard que de réaliser ton rêve ! ... parce que si tu te rates c'est plus la même histoire ! ...allez fillot ,tu crois que tu vas pouvoir réanimer les trompettes et les pieds de moutons ? !!! bisous

L'Apprenti Docteur a dit…

Je précise juste, parce qu'apparemment ça porte à confusion, que par "rêve" je n'entends pas "rêve de petit garçon" mais juste "rêve", comme si je m'étais endormis et que j'avais rêvé, rien de plus.

Il est évident que si ça arrivait j'aimerais savoir réagir comme ça, mais dans l'idéal, je préférerais que ça n'arrive pas du tout ! :p

Chantal a dit…

J'avais compris que ce n'était qu'un "rêve" ou ce que je nomme un "Tagtraum". Bonne soirée

Drojna a dit…

Excellent ! T'as réussi à faire un récit d'action à partir d'une garde merdique. J'aimerai bien avoir autant d'imagination pendant que j'me fais chier en réa chir ! ^^

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